l’étrangleur de boston

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la sortie de l’étrangleur de boston (la version de richard fleischer avec tony curtis) en blu-ray, avec master haute définition, est l’occasion de revenir sur ce film reposant sur des faits réels qui fut considéré, excusez du peu, comme…

… révolutionnaire lors de sa sortie en 1968. révolutionnaire moins dans sa structure narrative (quoique) que dans sa construction formelle.

les faits
1960, un jeune homme de 29 ans se présente au domicile de jeunes femmes en qualité d’agent de mannequins, prétexte lui permettant, moyennant un salaire de 40 dollars (qu’il promet de verser par l’intermédiaire de son agence fictive), de prendre les mensurations des « victimes », voire de les toucher. à chaque fois, il repart en promettant que son agence les contactera rapidement. inutile de préciser qu’elles ne verront jamais la couleur de cet argent. certaines femmes, apeurées, finissent par contacter la police.

1961, les forces de l’ordre finissent par mettre la main sur ce jeune homme et découvrent qu’il a déjà été arrêté plusieurs fois pour cambriolages. albert desalvo, rapidement surnommé le mesureur, écope de 18 mois de prison mais n’en purgera que 11 pour bonne conduite. rentré chez lui, il promet à sa femme, qui le rejette totalement, de se tenir à carreaux et prend un emploi de chauffagiste. mais ses pulsions sexuelles sont plus fortes et, de 1962 à 1964, va se servir de son métier pour s’introduire chez des femmes en prétextant des réparations. la presse s’empare rapidement de l’affaire et surnommera ce tueur, longtemps insaisissable, l’étrangleur de boston ou l’homme en vert, en référence à sa tenue d’ouvrier. l’homme, qui ne planifie rien et n’obéit qu’à ses pulsions, entrera au domicile de 13 femmes crédules, les violera avec toutes sortes d’objets, les étranglera et laissera leur corps exposé afin que leur découverte choque la police et le public.

octobre 1964, desalvo laisse la vie sauve à une jeune femme qui dresse de lui un portrait-robot. il est arrêté un mois plus tard, avoue avoir violé plus de 2000 femmes en 5 ans (la police n’en confirmera que 350), prend perpèt’, s’échappe en 67, se rend sur les conseils de son avocat, pour être finalement retrouvé mort poignardé dans sa cellule en 73.

2001. des analyses adn réalisées à partir de traces retrouvées sous les ongles et sur le sous-vêtement de la dernière victime ont montré qu’il ne s’agissait pas de desalvo. du coup, des doutes ont plané quelques années sur sa culpabilité, jusqu’à ce que d’autres analyses, effectuées en 2013, confirment à 99,9% qu’il s’agissait bien de lui.

le film
évidemment, le scénario s’inspire des faits sans les reprendre à la lettre. ainsi, de mesureur point. l’histoire commence avec les premiers meurtres, d’abord de femmes âgées, puis de plus en plus jeunes. il faut attendre une heure pour que le tueur entre enfin en scène. un procédé qui fait aussi la force du scénario car il fait monter le suspense de manière très subtile.

la psychologie du personnage a été quelque peu modifiée par le scénariste edward anhalt, et sa schizophrénie un peu exagérée, afin d’ajouter une tension dramatique à l’histoire et de la rendre plus « cinégénique ». ainsi, dans le film, desalvo ne « sait » rien des crimes que son « autre lui » a commis. témoin cette séquence où, entreprenant de ligoter sa victime aux barreaux de son lit, il surprend son propre visage dans un miroir et s’arrête en se fixant, comme s’il ne se reconnaissait pas. dérangé par ce qu’il vient de voir, il quitte l’appartement en laissant la vie sauve à la jeune femme.

dans la réalité, l’homme mène une double vie, bon père de famille d’un côté, violeur-meurtrier de l’autre. après son arrestation, les médecins décréteront tout de même qu’il a besoin d’une aide psychologique, peut se montrer agressif, se vante en cherchant à attirer constamment l’attention, et que sa personnalité présente des « traits schizoïdes et des tendances polymorphes perverses accentuées par des fantasmes de grandeur et d’omnipotence ». fichtre.

malin, visuellement surprenant, bien qu’un poil vieillot, mais indubitablement dérangeant, la technique du split screen ne traduit pas seulement l’état psychologique du protagoniste. il est aussi intéressant du point de vue narratif car il enrichit une même action d’angles différents et simultanés. loin de gâcher l’effet de surprise d’une scène, il en accroît le suspense et l’intensité. proposé par le directeur artistique fred harpman, le procédé sera adopté par le réalisateur richard fleischer et le directeur de la photo richard h. kline tout au long du métrage. il est réalisé au moyen de caches posés sur l’objectif des caméras filmant des séquences qui seront, plus tard, assemblées en post-production.

de plus, la schizophrénie du personnage offre une séquence finale mémorable (qui n’est pas sans rappeler celle de psychose) dans laquelle desalvo, réalisant son état, se met à mimer le meurtre de l’une de ses victimes. ce faisant, il revit le bien-être qu’il éprouvait au moment où il tuait ces femmes, mais s’enferme dans sa folie. une fin bien plus intense – et qui offre au passage à tony curtis le rôle de sa vie – que ce qui s’est passé en réalité puisque le vrai desalvo n’était pas aussi « atteint ».

fils de max fleischer, célèbre créateur de betty boop, réalisateur de vingt mille lieues sous les mers, richard fleischer se lance dans l’adaptation cinématographique de cette histoire vieille, à l’époque, d’à peine trois ans, et dont tous les éléments d’enquête ne sont pas encore élucidés. il se bat pour avoir tony curtis, considéré par hollywood comme une belle gueule sans envergure. or curtis, qui plus tard remerciera fleischer d’avoir sauvé sa carrière, apporte à son personnage une idée qui va tout changer: un faux nez. cet artifice qui n’a l’air de rien modifie de manière subtile la physionomie de l’acteur et, l’enlaidissant à peine, lui permet de rendre son personnage, et donc son interprétation, crédibles. brillant. de plus, lors de la séquence finale, curtis fera la preuve de son talent aux yeux du monde.

le film sera un succès grâce, principalement, à la performance de curtis (qui ne l’empêchera pas d’être casté sur amicalement vôtre trois ans plus tard), mais aussi à l’utilisation surprenante du fameux split screen qui est décidément la signature du film. l’étrangleur est bien un film d’époque où les gros plans ne sont pas réalisés par la proximité de la caméra avec le sujet mais par l’utilisation intensive du zoom, procédé qu’aucun réalisateur n’utilise plus depuis longtemps. le film est aussi le premier à utiliser la caméra portable arriflex, dont il fallait étouffer le bruit mais qui apportait une grande fluidité de mouvement. ainsi quelques séquences sont tournées caméra à l’épaule, ce qui donne à ces scènes une modernité suprenante. petite anecdote: lors de la séquence se déroulant devant le tribunal, une troupe de journalistes est massée et tente d’interviewer le chef de la police. au premier plan, l’un d’eux filme, caméra à l’épaule. c’est en fait un opérateur de la production filmant la scène avec une caméra arriflex, pour l’un des angles qui seront ensuite assemblés en split screen.

le blu-ray propose en bonus deux documentaires passionnants, respectivement de 21 et 30 minutes: faux nez, vrai tueur: souvenirs de « l’étrangleur de boston », et l’écran schizophrène: william friedkin à propos de « l’étrangleur de boston ».

le film est emblématique d’une époque et précurseur à bien des égards. ses innovations d’alors pourront paraître dépassées ou communes aujourd’hui, mais il se laisse très bien regarder.

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