réal. lynne ramsay, scénario lynne ramsay, rory kinnear, int. tilda swinton, john c. reilly, ezra miller, ashley gerasimovitch, jasper newell. 2011, 110′. 3,5 pouces
le synopsis
eva (swinton) met sa carrière entre parenthèses pour donner naissance à son premier enfant, kevin, et s’occuper de lui à plein temps. mais les relations mère-fils se révèlent dès le départ…
… très compliquées.
l’avis
dès les premiers mois de sa vie, kevin (newell, puis miller) rejette totalement sa mère, nourrissant à son encontre une haine viscérale, alors qu’il se montre très aimant, et tout à fait « normal », avec son père, faisant naître progressivement des dissensions dans le couple.
le film décortique, parfois au risque d’être répétitif, à travers le prisme du souvenir, la relation de ces deux êtres que tout oppose, et surtout la manière dont la mère, qui culpabilise forcément et en rajoute dans des sentiments qu’elle n’éprouve pas forcément, devient l’esclave de ce fils qui, très tôt, en profite pour la manipuler à l’envi.
l’enfant, puis l’adolescent, grandit dans un milieu certes un brin superficiel mais serein. il n’est ni battu ni abusé sexuellement, il ne fait pas l’objet de railleries ni n’est le souffre-douleur de personne à l’école. et s’il ne regarde pas la télé, il collectionne des images porno sur le net. ce n’est pas pour ça qu’on devient un tueur en série. alors?
alors, nous dit-on, on peut naître mauvais et porter le mal en soi, jusqu’à commettre des actes épouvantables et irréversibles. lol. on le savait déjà. mais curieusement, ce n’est pas l’argument le plus dérangeant du film. le plus dérangeant, c’est le comportement de la mère qui continue d’entretenir, malgré tout ce qu’il a fait (et il en a fait pas mal), sa relation de soumission active vis-à-vis d’un fils qui, même du fond de sa prison, continue de la dominer.
le scénario est tiré d’un roman de lionel shriver – qui n’est pas un homme, son vrai nom étant margaret anne shriver – publié en 2003. le roman est construit comme une suite de lettres écrites par la protagoniste, eva, à son mari dont elle est séparée. la femme s’y livre à une réflexion sur sa part de responsabilité dans la cruauté de son fils. les thèmes abordés dans le livre sont l’optimisme forcené des états-unis (incarné par le père, Reilly), qui condamnent mais n’interdisent pas pour autant, et l’influence de l’éducation sur le comportement humain.
vu sous cet angle, on réalise d’une part que le scénario ne reprend pas le schéma narratif du roman, mais est construit sur un aller-retour constant et subtil entre présent et passé, une sorte de chronologie fragmentée, à l’instar de sa protagoniste, brisée par les événements, et d’autre part que l’adaptation du roman pour le grand écran modifie de manière substantielle le point de vue de shriver. en effet, non seulement eva n’est pas séparée de son mari, ce qui pourrait n’être qu’un détail s’il ne renforçait, au final, la cruauté de l’adolescent, mais le film montre clairement un être dérangé – mais en pleine possession de ses moyens – et haineux vis-à-vis de sa mère dès sa naissance, posant du coup la question de l’acquis et de l’inné dans le comportement meurtrier. en cela, la réalisatrice-scénariste s’inscrit en faux contre la relation de cause à effet environnement/violence. ainsi le comportement meurtrier d’un adolescent ne serait pas nécessairement influencé, semble-t-elle nous dire, par des jeux vidéo, d’une violence dont il serait nourri au quotidien, par le truchement des jeux vidéo ou des infos télévisées, d’une mauvaise éducation ou d’un mauvais exemple fourni par les parents, ni même d’un quelconque désoeuvrement.
quant au sentiment de culpabilité, la mère se le créerait toute seule tout au long de sa relation avec son fils (et d’autant plus quand elle a tout perdu) car son comportement, même s’il n’est pas toujours irréprochable, ne justifie en aucun cas l’acharnement du fils à l’égard d’une mère qui porte à la fois le poids de sa solitude (personne ne la croit a priori) et celui de la responsabilité (tout le monde l’accuse a posteriori).
le titre est en cela assez paradoxal. car s’il met l’accent sur l’échange, le film se révèle assez pauvre en dialogues. d’autre part, le « we » que réclame le personnage ne rencontre que le silence (de la part du mari, de la société…). enfin le « kevin » qui est l’objet du titre n’est malgré tout pas le personnage principal du film puisque c’est sur eva, ses réflexions, son point de vue et ses émotions que tout est centré.
au final, et contrairement au livre, le film ne fait donc pas de l’influence de l’éducation sur le comportement humain un enjeu mais prend d’emblée le parti de mettre en scène une sorte de « fils du mal ».
malgré cela, we need… est un film extrêmement dérangeant.