réal. alfonso cuarón, scénario alfonso et jonás cuarón, int. sandra bullock, george clooney, ed harris. 2013, 90'. 4,5 pouces.
le synopsis
c'est la première expédition à bord d'une navette spatiale pour le docteur ryan stone (bullock). lors d'une sortie de routine dans l'espace avec son coéquipier, l'astronaute chevronné matt kowalsky (clooney), la navette…
… est bombardée par les débris d'un satellite. les deux astronautes sont coupés de leur base et de toute communication avec la terre. ils dérivent dans le vide…
l'avis
ouah… ce film est somptueux. pour tout un tas de raisons sur lesquelles la presse et la critique internationale se sont très largement répandues: la recréation de l'apesanteur (il fallait faire honneur au titre), la beauté époustouflante des images, le quasi-plan séquence d'ouverture, d'une virtuosité incroyable, la performance des comédiens et surtout, bien sûr, de sandra bullock, à laquelle on prédit déjà (4 ou 5 mois à l'avance) l'oscar et sur les épaules de qui le film repose tout entier. mais avant tout l'histoire et la psychologie des personnages.
il faut savoir que gravity n'est pas du tout un film de science-fiction, comme j'ai pu le lire ici ou là. peu le sont vraiment d'ailleurs. ceux qui vont aller le voir en pensant visionner un quelconque film de monstres venus de l'espace ou un début de saga à la star wars ou encore un film catastrophe avec bataille intergalactique et super-héros seront super-déçus. gravity est un drame psychologique qui se déroule dans l'espace, point. mais c'est déjà pas mal.
certes, le fait qu'il se déroule dans l'espace donne au réalisateur l'occasion de créer des effets spéciaux inédits, d'inventer des techniques et d'éprouver physiquement ses comédiens. quatre ans et demi (dont deux rien que pour la post-prod) pour accoucher de cette oeuvre magnifique, six mois de préparation pour sandra bullock pour acquérir les automatismes, apprendre à se déplacer comme en apesanteur – avec l'aide d'un coach de
mouvements qui lui a appris notamment à bouger plus lentement tout en
parlant à vitesse normale – et mieux se concentrer sur l'expression.
mais l'environnement, aussi spectaculaire et oppressant qu'il soit, reste au service de l'histoire: une femme qui a vécu un drame dans sa vie doit traverser des épreuves pour trouver la force de poursuivre sa route (on ne tient jamais tant à la vie que lorsqu'on est passé tout près de la mort). une femme, et pas un homme, car il y a un lien évident entre la mère et la terre nourricière. qui plus est une novice, donc pas une astronaute aguerrie, incapable de gérer une telle situation de crise. cette femme qui préfère s'isoler du monde (elle n'écoute que des
stations de radio où l'on ne parle pas) et se réfugier dans le
silence pour oublier le drame qu'elle a vécu est placée devant une
contradiction: elle est violemment coupée de tout contact avec la terre
et brutalement confrontée au silence le plus absolu, celui de l'espace (prenez garde à vos désirs, ils pourraient se réaliser).
et c'est dans ce silence, qu'elle cherche désespérément à rompre (seconde
contradiction), qu'elle va trouver le chemin de son salut. joli schéma. mais rien de science-fictionnel là-dedans. la séquence finale est à ce titre à la fois symptomatique et tellement cohérente. rarement les expressions "toucher le fond", "se noyer" et "se redresser", prises au premier degré, n'auront atteint a contrario une telle puissance symbolique. simple, juste, signifiant, magnifique. à l'image de tout le film.
vu sous cet angle, il est vrai que l'histoire n'est pas nouvelle. pas besoin d'aller dans l'espace pour raconter un drame. un abdellatif kechiche l'aurait sans doute tourné dans une salle de classe ou dans le confinement d'une chambre à coucher. une maïwenn dans un commissariat de polisse. à chacun sa méthode et son environnement pour faire passer son message. ici l'isolement absolu constitue, évidemment, le catalyseur de la ressurection du personnage. or quels leviers plus puissants que le vide sidéral et la promesse d'une mort certaine pour déclencher l'instinct de survie? james cameron avait jadis utilisé le même ressort avec son étouffant mais néanmoins lumineux abyss. le même cameron qui rejoint le concert d'éloges planétaires au sujet de gravity – dont le réalisateur de black swan, darren aronofsky et le très respectable buzz aldrin, excusez du peu, qui l'a trouvé très réaliste -, affirmant que c'est le plus beau film sur l'espace qui ait jamais été réalisé selon lui. un compliment à prendre au sérieux de la part de l'inventeur (lui aussi) de multiples techniques cinématographiques (et pas seulement), notamment pour la photo sous-marine.
il y a bien çà et là une ou deux bizarreries qui, si l'on s'y attarde, soulèvent des questions: la combinaison de l'astronaute russe (ou chinois je ne sais plus), va comme un gant (comme une combinaison, rectifieront les ptits malins) au docteur stone; les boutons des panneaux de contrôle dans les capsules russe et chinoise sont les mêmes que l'américaine, si bien que le personnage peut s'y retrouver, même si la langue n'est évidemment pas la même; la facilité avec laquelle elle entre et sort de ses différentes combinaisons, même dans l'eau. des broutilles, vraiment, au regard du reste, d'autant que le réalisateur a soumis son scénario à des scientifiques pour en assurer la crédibilité.
je pensais que ce film serait plutôt gerbatoire, surtout à cause de la 3d. en effet, la bande-annonce, ne gardant du métrage que son côté spectaculaire (la séquence de la collision avec les débris) m'avait un peu inquiété. curieusement, moi qui suis très sensible de ce côté, aucun effet de tournis n'est venu perturber la projection. ce film, qui pourrait bien être, en ce qui me concerne, celui de l'année, est impressionnant de bout en bout et à tous points de vue. par son spectacle bien sûr, on l'a dit, mais aussi et surtout par la clarté de son propos, l'intelligence de sa mise en scène et la beauté de sa conclusion. magnifique et bouleversant.
brèves de coulisses…
les vaisseaux, navettes, station spatiale présentés dans le film sont ceux de l'astronautique de notre décennie, voire, pour la station chinoise, du futur proche. les situations présentées dans le film sont fort peu probables mais restent possibles. il est arrivé qu'un objet ou un morceau de débris heurte une station orbitale ou une navette spatiale (c'est le syndrome de kessler: les satellites hors d'usage ou laissés à l'abandon après une mission forment des débris, risquant de provoquer des catastrophes pour les astronautes mais aussi pour les humains sur terre), mais jamais un nuage de débris arrivant à une vitesse supersonique. les scénaristes ont donc exagéré la situation pour en augmenter l'impact dramatique. classique mais pas impossible.
il a fallu très longtemps à sandra bullock pour être prise au sérieux et décrocher un rôle (et sans doute bientôt un oscar) à la mesure de son talent. longtemps cantonnée dans les rôles de cruches et de faire-valoir (on se souvient de demolition man ou des miss detective), malgré quelques rôles dramatiques qui n'ont pas marqué (speed, calculs meurtriers, entre deux rives pour ne citer que ceux-là), la miss, qui n'en est pourtant pas à son premier rôle, semble avoir désormais atteint la maturité aux yeux de hollywood et pourrait bien, avec son personnage de femme aux multiples fêlures se révélant une battante, décrocher également la fameuse statuette. et pourtant, ce n'était pas gagné. angelina jolie devait tenir le rôle, mais à la défection de cette dernière, d'autres se sont bousculées au portillon: scarlett johansson, blake lively ou natalie portman qui s'est finalement désistée pour cause de grossesse.
juste retournement des choses, pour une fois, c'est george clooney qui sert de faire-valoir, même s'il joue ici les mentors et que son rôle n'est pas anodin, notamment lors d'une scène clé dans la seconde partie du film.
gravity est le septième film du mexicain alfonso cuarón (après notamment y tu mamá también, les fils de l'homme et le troisième épisode de la saga harry potter – le prisonnier d'azkaban). parcours classique du réal de pub qui fait un premier film remarqué, émigre aux états-unis pour travailler sur des séries télé, collectant au passage récompenses et reconnaissance, puis continue à écrire des longs-métrages remarquables. cela faisait 7 ans depuis son dernier (les fils de l'homme). ça valait vraiment la peine d'attendre.
le film est le résultat d'un (très) savant mélange d'infographie et d'animation, le réalisateur n'ayant dès le départ qu'une seule idée en tête: le réalisme. les techniques traditionnelles ayant très vite montré leurs limites, cuarón a donc dû, pour montrer l'espace tel qu'il l'imaginait, créer un dispositif de toutes pièces: la light box, un cube aux parois tapissées de led recréant la lumière du soleil dans l'espace, équipé de caméras inventées pour l'occasion et fixées à des bras articulés, ainsi que des systèmes de rotation permettant de soulever et de faire tourner les acteurs. sandra bullock s'y est très souvent retrouvée seule, avec pour seul moyen de communication avec l'extérieur une oreillette et un panel de sons et de musique lui permettant de caler son jeu sur l'action dans un processus de tournage très mathématique. de même, un système spécial de câbles a dû être mis au point pour reproduire l'effet d'apesanteur, une miniature informatisée des mécanismes fixés sur les comédiens étant manipulée et télécommandée par des marionnettistes experts.
l'équipe du film a bénéficié de la collaboration de la nasa qui lui a fourni des clichés et des films d'archive. pour l'animation, les responsables ont dû revoir les principes élémentaires et se servir de techniques inédites pour comprendre comment un corps se déplace dans l'espace. le film a été pensé en 3d dès le départ, le réalisateur souhaitant que le spectateur soit le plus possible immergé dans l'histoire et qu'il participe au voyage.
l'infographie a offert au directeur de la photo de nombreuses possibilités en termes de plans séquences, ceux qu'il appelle les "plans élastiques", partant d'un panoramique pour aboutir à un très gros plan du visage de l'actrice, entrer dans son casque, poursuivre avec un plan subjectif et terminer la séquence sur un plan neutre. cette virtuosité visuelle "sans coutures" est pour beaucoup dans la claustrophobie qu'on peut ressentir. les visières des casques ont été réalisées en infographie, le plus
difficile ayant été de recréer la buée produite par la respiration des
personnages.
mise à part la capsule soyouz, qui a été construite en dur, la majeure partie des décors a été créée de toutes pièces par ordinateur, les responsables s'étant appuyés sur des photos des vaisseaux existants et des infos techniques tombées dans le domaine public.
enfin, les comédiens portaient des combinaisons de substitution, les costumes réels étant trop lourds à supporter pendant le tournage.