pina (3d)

Pina

réal. wim wenders, int. pina bausch, dominique mercy, regina advento, malou airoudo. 2011, 103'. 4 pouces

le synopsis
film documentaire sur le travail de la chorégraphe allemande, dansé par l'ensemble de la troupe du tanztheater wuppertal, cette ville d'allemagne dont la chorégraphe…


… a fait son fief durant 35 ans, avant de disparaître brutalement à l'été 2009 à l'âge de 68 ans.

l'avis
pina bausch
ne travaillait pas par rapport à des pas à effectuer ou à des formes à reproduire, mais par rapport à l'anatomie de ses danseurs, aux possibilités qui leur sont données par leur corps (elle les interrogeait sur leur vie avant de les faire danser – et pendant tout le processus de création). elle dénonçait les codes de la séduction, la solitude dans le couple et travaillait sur les rapports hommes-femmes sous l'angle de la communication. son style se caractérise par ce que l'on a appelé les "rondes à la pina bausch", petits gestes anodins en apparence mais signifiants, répétés tant par les hommes que par les femmes, et par la fluidité du corps, notamment du haut, traduite par de grands mouvements et des jeux avec les cheveux, souvent très longs, de ses danseuses. ses spectacles, mêlant danse et parole, ont séduit les gens de théâtre avant d'être reconnu par le monde de la danse. on a parlé de ballet et d'opéra, avant de qualifier son travail de "théâtre de danse", d'où le nom de sa troupe.

les chorégraphies de bausch sont souvent organisées sous forme de saynètes censées communiquer des émotions.

ainsi la séquence d'ouverture du film (seasons march). une danseuse, portant un accordéon, explique ce qui va suivre. elle raconte le cycle de la vie à travers le passage éternel et inexorable des saisons. "bald ist es wieder Frühling. Gras: klein. dann kommt der Sommer: hohes Gras, Sonne. dann kommt der Herbst: die Blätter fallen. und dann: Winter". à chaque fois, elle accompagne d'un petit geste la description de la saison. puis elle disparaît en coulisses, cédant sa place à la troupe qui, marchant à pas lents en file indienne sur une musique jazzy désuète, reproduit le cycle avec les mêmes gestes.

ainsi celle (trust) dans laquelle une femme marche en suivant une ligne droite. un homme la suit, ou plutôt l'accompagne. car la femme, tous les deux ou trois pas, se laisse tomber, droite comme un i, tantôt sur le côté droit, tantôt sur le gauche. mais l'homme est là qui la rattrape à chaque fois et la remet en position de continuer sa route. c'est tout. ça n'a l'air de rien, raconté comme ça. mais moi, ça m'a bouleversé. cette symbolique de la confiance, de la solidarité dans le couple, de l'amour qui pousse à être "là pour l'autre" sans condition ni réserve, m'a "parlé" et m'a ému aux larmes. la beauté de cette question fondatrice de l'existence du couple est, en l'occurrence, magnifiquement servie par la simplicité de la chorégraphie et la perfection de son exécution.

ainsi cette autre séquence qui, si elle ne m'a pas ému, m'a particulièrement touché. il s'agit de l'une des oeuvres les plus célèbres de la chorégraphe allemande – café müller -, créée en 1978, dont l'inspiration provenait sans doute de ses origines (ses parents tenaient un hôtel-bar où elle travailla comme serveuse durant son adolescence). la scène est recouverte de chaises et de tables de bistrot. les danseurs courent les yeux fermés, essayant de ne pas se cogner, mais n'y parvenant pas toujours, aux meubles et aux murs, tentent de se frayer un chemin, aidés par un compère qui écarte les chaises au dernier moment. comme dans la grande majorité des oeuvres de bausch, le thème abordé ici est la tension au sein du couple, illustrée par la scène dans laquelle un homme porte brièvement une femme dans ses bras pour la laisser tomber (littéralement). la femme se relève et, aidée par un troisième personnage, remonte dans les bras de l'homme tout en l'embrassant tendrement. mais celui-ci la laisse retomber. la scène étant répétée inlassablement et de plus en plus vite. on retrouve le stéréotype des gestes quotidiens d'une séduction ici méprisée que bausch ne cessera de dénoncer. désespoir de l'incommunicabilité, douleur des corps, violence des sentiments, une oeuvre d'une très grande force dont la théâtralité est renforcée par sa structure empruntée à la tragédie mais sans le recours à la parole.

ce film documentaire somptueux, s'il n'est pas resté longtemps en salle, est sorti en dvd. et il est à voir ab-so-lu-ment. si vous êtes férus de danse contemporaine, bien sûr…

brèves de coulisses…
quelques jours avant les premiers essais en 3d, le 30 juin 2009, philippina bausch meurt, cinq jours après avoir appris qu'elle était atteinte d'un cancer généralisé. après avoir envisagé d'abandonner le projet, le réalisateur wim wenders décide, en accord avec la troupe, de le poursuivre et de faire un film "pour pina bausch".

pina se veut le premier film d'auteur en 3d. le tournage s'est fait en deux temps: fin octobre 2009, le sacre du printemps a été filmé en public lors de la tournée mondiale de la troupe, ce qui nécessité une grosse préparation en amont, puis dès mi-avril 2010, avec kontakthof, filmé sans public avec trois distributions différentes (les danseurs de la troupe, des hommes et des femmes de plus de 65 ans et des adolescents). puis, les danseurs ont été filmés dans des lieux publics et des espaces industriels.

wenders a fait appel à un spécialiste de la 3d qui a conçu des caméras et des systèmes spéciaux (grues et steadycams) pour le film. car, au contraire des films traditionnels sur la danse, ici les caméras sont placées au milieu des danseurs, et dansent avec eux. ce qui, là aussi, a exigé des membres de l'équipe de tournage qu'ils connaissent la chorégraphie afin de savoir où se dirigeaient les danseurs pour être à même de les suivre, voire de les précéder. comme la danse est par essence un mouvement dans l'espace, il n'y a pas de meilleur procédé que la technologie 3d pour lui rendre justice. on peut parfois douter, suivant le film et le réalisme des effets, de la pertinence de la 3d. ici elle se justifie pleinement.

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