de rouille et d’os

De rouille et d'os

réal. jacques audiard, d'après le recueil de nouvelles rust and bone (un goût de rouille et d'os) de craig davidson, int. marion cotillard, matthias schoenaerts, armand verdure, corinne masiero. 2012, 115'. 3,5 pouces.

le synopsis
stéphanie (cotillard) travaille comme dresseuse d'orques au marineland d'antibes. venant du nord avec son fils, ali (schoenaerts) est un quasi-sdf. tout les oppose. pourtant, …


… un drame va les réunir.

l'avis
ce film porte à n'en pas douter la signature d'audiard: un cinéma beau, pur, sans concession ni chichis. un cinéma qui raconte des histoires fortes qui vous prennent aux tripes. un cinéma coup de poing dans le bide, loin d'un quelconque maniérisme insupportable (et pompé) à la gaspard noé qui, en bonne provoc' gratuite pour "faire genre", fait parler beaucoup mais ne raconte rien.

ici, on est dans du cinéma qui parle vrai, qui ne frime pas, qui n'est pas là pour faire du "buzz" et qui "choque" (s'il doit) par le fond et non par la forme ou, pour être plus précis, où la forme est au service du fond. et moi, de ce cinéma-là aussi, je suis très client.

surprenant toujours par l'intelligence de l'angle qu'il adopte pour s'attaquer aux problèmes, audiard ne s'intéresse qu'aux écorchés vifs, aux laissés-pour-compte, aux "grands brûlés" de la vie qui ont tout à donner et rien à perdre. ce sont eux qui ont le plus à dire, c'est à travers eux qu'il raconte ses plus belles histoires. comme celle de tom (romain duris, magnifique), refusant de marcher dans les traces d'un père véreux et donnant vie à son rêve (de battre, mon coeur s'est arrêté, 2005). comme celle de malik (tahar rahim, élu, pour la première fois dans l'histoire des césar, meilleur espoir ET meilleur acteur), apprenant, à 19 ans, à dépasser, par son intelligence, la brutalité d'un univers carcéral impitoyable (un prophète, 2009).

comme celle de stéphanie (cotillard), qui, après un accident effroyable, va réapprendre à vivre au contact d'un mec brut de pomme (schoenaerts) qui pose sur elle un regard cash et sans compassion. une histoire "à la audiard", très forte en émotions, à l'instar de deux séquences, l'une où, sur son fauteuil, elle retrouve peu à peu ses gestes de dressage, l'autre où elle retourne sur son lieu de travail et fait la paix avec l'orque. chez audiard, rien n'est jamais simpliste, mais tout est simple. une simplicité toujours chargée de sens. et c'est cela qui la rend si bouleversante. comme une "émotion évidente". de la toute grande écriture…

de rouille et d'os est l'histoire universelle d'un combat contre le désespoir par lequel n'importe qui se sentirait irrésistiblement attiré à la suite d'un drame de ce type, le combat contre soi-même, celui d'une femme qui, grâce à l'aide dénuée de sentimentalisme (donc simple) d'un homme, va renaître et se réaffirmer en ne se sentant jamais mieux debout que sur ses prothèses. et cette réaffirmation, à travers une épreuve dont les deux personnages sortent finalement grandis, est suggérée tout en subtilité par le titre du film dont les lettres, grises au tout début, réapparaîtront en noir après la dernière image, comme une confirmation, presque une fierté. le genre de messages extrêmement puissants qui, mine de rien, sous leur déguisement de petites touches, vous font venir les larmes aux yeux…

contrairement à nombre de ses longs-métrages précédents, de rouille et d'os est reparti de cannes bredouille cette année, le jury étant trop occupé à récompenser un cinéma dit d'auteur, avec un palmarès très controversé. il a dû estimer que jacques audiard avait été "suffisamment récompensé". peu importe, il y a urgence à voir son film, comme TOUS ses films, d'ailleurs.

brèves de coulisses…
après avoir signé, dans les années 80, les scripts de réveillon chez bob (denys granier-deferre, 1983), mortelle randonnée (claude miller, 1983), saxo (ariel zeitoun, 1987), fréquence meurtre (elizabeth rappeneau, 1988), baxter (jérôme boivin, 1989) ou encore, plus tard, vénus beauté (toni marshall, 1999), jacques audiard passe à la mise en scène. outre les films précités, il réalise ainsi regarde les hommes tomber (1994), avec mathieu kassovitz et jean-louis trintignant, et un héros très discret (1996), toujours avec kassovitz.

de rouille et d'os est adapté d'un recueil de nouvelles (2005) de craig davidson, auteur canadien assez controversé, souvent comparé à chuck palahniuk (fight club) qui, après s'être lancé dans la consommation excessive de stéroïdes, est allé jusqu'à se battre avec le poète michael knox pour promouvoir son roman suivant (the fighter, 2008, mais aucun rapport avec le film du même nom avec mark wahlberg).

dans leur travail, audiard et son scénariste thomas bidegain (pas de plaisanteries faciles, svp) ont pris de grandes libertés en se concentrant sur les personnages et sur la violence inhérente au ton de l'histoire. au point d'inventer de toutes pièces les deux personnages principaux de stéphanie et d'ali. dès le début, le cinéaste s'est orienté vers une "forme cinématographique expressionniste où la force des images viendrait servir le mélodrame. une esthétique tranchée, brutale et contrastée, celle de la grande dépression, des films de foire où l'extraordinaire étrangeté des propositions visuelles sublime la noirceur du réel, celle d'un monde où dieu vomit les tièdes". des propos quasiment palpables dans chacune des images du film et que personne d'autre n'aurait su mieux exprimer. j'adore.

tournant dans le prochain batman, et malgré la faible importance de son rôle, cotillard avait interdiction de tourner un autre film en même temps. mais voilà, elle voulait absolument faire le film d'audiard. du coup, elle a menti sur les dates de tournage et l'équipe a commencé les premiers tours de manivelle en cachette pour ne pas la compromettre. mais, malgré toutes les précautions, le magazine américain variety a fini par révéler l'affaire.

les films d'audiard remportent un succès (critique, mais surtout public) constant et croissant, depuis regarde les hommes tomber (200'000 entrées) à un prophète (1,3 million).

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