un homme entre dans son bureau, pose sa serviette et le décor autour de lui s'effondre comme un château de cartes, entraînant sa chute, une chute apparemment sans fin. puis on le retrouve tranquillement assis sur un canapé, le bras nonchalamment posé sur le dossier, une cigarette à la main.
ce n'est pas un mauvais rêve, c'est le générique d'une série brillante et plusieurs fois récompensée: mad men. traité en animation, il donne le ton en à peine 30 secondes. comme tous les bons génériques. l'homme n'est en effet qu'une silhouette élégante et stylisée – tout chez lui est noir, même son visage, excepté sa chemise, qui est blanche – et l'environnement est clairement celui de la publicité – les cadres accrochés sur un mur de son bureau, les immeubles témoins de sa chute (et le mot n'est pas choisi au hasard), couverts, par un effet de surimpression, de réclames des années soixante.
tout n'étant bien sûr que symbolique dans ce générique, la musique, auxquels des violons prêtent des accents hitchcockiens relayés par une rythmique empruntée aux sixties, ponctue l'image et plante l'atmosphère, à la fois esthétique, donc rassurante (en apparence), puis versant rapidement dans une vague angoisse (le rythme s'accélère avec la batterie, accompagnant la chute du personnage), puis revenant à un calme relatif (l'angoisse n'était-elle qu'une impression?) pour se terminer sur un accord subtilement dissonant (l'homme, apparemment maître de lui-même, cache en fait sinon une décadence, voire une déchéance, du moins une part d'ombre).
cet homme, c'est don draper (jon hamm), directeur de création d'une agence de pub new yorkaise (fictive) qui compte parmi les plus en vue de la place: sterling cooper. homme charismatique au passé mystérieux qui séduit aussi bien les femmes que les entreprises qu'il démarche, il laisse cependant deviner une fêlure, voire une fragilité, derrière une assurance qu'on perçoit construite de toute pièce. pratiquement inconnu jusque-là, jon hamm (un nom à retenir) joue avec finesse un personnage sur le fil du rasoir. la série, qui s'étend pour l'instant sur deux saisons (la troisième est en production), se déroule de 1959 à 1962, dans une amérique qui ne s'est pas encore remise du maccarthysme et qui s'apprête à entrer dans la guerre froide.
la pub n'est, bien sûr, qu'un prétexte (rêvé) pour dépeindre une époque, sa société et ses rapports de force, son sexisme et son racisme. une époque où tous les hommes mariés ont des aventures avec des femmes (qui ne se font souvent pas prier pour coucher avec le premier venu). une époque où le tabagisme est omniprésent (tout le monde fume, dans les bureaux, au restaurant, dans les chambres à coucher). une époque où les stéréotypes sont tellement poussés qu'ils finissent par ne plus être caricaturaux: les femmes dirigent le foyer, les hommes dirigent tout court. brimées, parfois révoltées mais souvent obéissantes, celles qui ne se servent pas de leurs charmes pour se faire une place dans ce monde d'hommes sont ignorées, voire écartées. les seules à tirer leur épingle du jeu sont celles qui ne sont pas dupes et mettent leurs atouts en avant pour se frayer un chemin, et les rares femmes de pouvoir, qui ne sont cependant pas arrivées là à la force de leur talent (elles sont toujours les "filles de" ou les "femmes de") mais qui n'en restent pas moins des "objets" de désir regardés avec une certaine condescendance.
cette série est un bijou. tout y est juste: du casting impeccable au stylisme délicieusement désuet, des décors soignés jusqu'au moindre détail aux accessoires, quasi imperceptibles à l'écran, mais qui créent une incroyable richesse visuelle, que ce soient un briquet, une montre, une brochure pour une agence de voyages, une carte de visite ou un billet de cinéma. le chef accessoiriste, scott buckwald, et son équipe, ont dû faire des recherches poussées à ce sujet de manière à ne créer aucun anachronisme. à l'inverse, tous les objets que l'on voit à l'écran ne sont évidemment pas tous de 1959 ou 1962, beaucoup provenant d'époques plus anciennes, comme certaines voitures du début des années 50 appartenant à des personnages plus âgés. "quand on pense aux sixties, dit buckwald, on s'imagine la génération beatles. mais ces années-là doivent plus à elvis et aux fifties qu'on ne croit. c'était le début de l'ère kennedy et la fin de l'innocence pour les états-unis." sans oublier des dialogues et un état d'esprit qui nous ramènent à notre enfance (pour peu qu'on soit né au début des années soixante, bien sûr) et nous "rappellent" nos propres parents à cette époque.
dernier "détail", le titre, qui est un jeu de mots sur ces publicitaires (ad men) qui travaillaient sur madison avenue, l'endroit qui regroupe toutes les plus grandes agences de new york (sterling cooper est au numéro 405). impossible, donc, à traduire. impossible non plus de ne pas aimer cette série…
pour tout savoir sur mad men, allez voir ici.
le dimanche soir sur canal+, plus que 6 épisodes pour la 2ème saison!
photo: de gauche à droite – peter campbell (vincent kartheiser), le jeune chargé de clientèle ambitieux, joan holloway (christina hendricks), la chef des secrétaires pas dupe aux charmes ravageurs, roger sterling (john slattery, vu dans desperate housewives), l'un des deux patrons de l'agence, peggy olson (elisabeth moss), l'ex-secrétaire devenue conceptrice-rédactrice et qui essaie de se faire une place dans cet impitoyable monde d'hommes, et don draper (jon hamm), directeur de création charismatique, à la fois craint, respecté et séduisant, qui cache une part d'ombre.