réal. ben affleck, scénario chris terrio, int. ben affleck, bryan cranston, john goodman, alan arkin, kyle chandler, chris messina, tate donovan, clea duvall, rory cochrane. 2012, 119'. 4 pouces.
le synopsis
au début de la révolution iranienne, des manifestants pénètrent dans l'ambassade américaine de téhéran et prennent 52 employés en otages. dans le chaos, personne ne s'aperçoit que…
… six d'entre eux ont réussi à s'échapper et à se réfugier au domicile de l'ambassadeur du canada. tony mendez (affleck), spécialiste de l'exfiltration au sein de la cia, met au point un plan incroyable pour les sortir de là.
l'avis
pour bien comprendre la difficulté de l'opération menée dans le film par la cia, il convient de revenir deux secondes sur le contexte: durant les années 1960 et 1970, mohammad reza chah pahlavi, autrement dit le (dernier) chah d'iran, a offert à une nation traditionnaliste qui n'y est pas préparée une très forte croissance économique. mais en 1978, les méthodes brutales de la savak (la police du régime), le faste ostentatoire de la famille impériale et les différences criantes avec les classes populaires toujours plus pauvres finissent par amener jimmy carter à demander au chah de libéraliser un pays perçu de l'intérieur comme trop autoritaire, trop occidentalisé et donc comme ayant renié les valeurs fondamentales de l'islam. le chah nomme alors le libéral chapour baktiar premier ministre en lui confiant pour mission de sauver son régime qui tombe chaque jour un peu plus en disgrâce. le nouveau premier ministre conseille alors au chah de s'exiler pour calmer le jeu. ce qu'il fait, avec sa femme, l'impératrice farah et sa famille, le 16 janvier 1979. il fera plusieurs escales: égypte, maroc, bahamas, mexique, puis états-unis, qui l'assuraient jusque-là de leur soutien. c'est au mexique que le diagnostic tombe: maladie de waldenström, autrement dit cancer de la moëlle osseuse. le chah se fait hospitaliser à new york lors de sa première étape aux états-unis, fin 1979. la nouvelle provoque la colère des iraniens et déclenche la crise des otages de l'ambassade américaine.
le résumé qui précède occupe les 5 premières minutes du film et plante le décor. la violence est extrême et la haine à son comble envers l'occidental considéré, quoi qu'il fasse et d'où qu'il vienne, comme l'ennemi juré. une haine qui n'empêche pas les autochtones de rouler dans des voitures venues de l'ouest et de manger dans des kentucky fried chicken – vestiges d'un régime déchu et honni par les traditionnalistes -, à quelques centaines de mètres il est vrai d'un homme pendu à une grue pour "trahison". il faudra presque un an entre le début de la crise et l'opération d'exfiltration proprement dite menée par un agent de la cia, un certain tony mendez.
il faut dire que ce film s'appuie sur une opération qui s'est réellement déroulée et qui a été déclassifiée secret défense en 1997 par bill clinton. et le générique de fin montre à quel point il est fidèle à la réalité.
l'histoire (l'idée que mendez a eu pour exfiltrer les 6 américains) est tellement incroyable (limite loufoque) qu'elle en devient crédible: faire passer les 6 otages (plus lui-même) pour une équipe canadienne de cinéma en repérages pour le tournage d'un film façon star wars (l'affiche ressemble étrangement à celle du premier film de george lucas) intitulé argo. pour cela, il crée une vraie fausse société de production – studio six – qui s'installe dans des locaux occupés peu avant par michael douglas pour son film le syndrome chinois. studio six sera tellement médiatisée après cette affaire qu'elle recevra des dizaines de scénarios, dont de potentiels blockbusters et un de steven spielberg. mendez pioche un vrai scénario (écrit à la base par l'oubliée mary ann boyd, ou boyle je ne sais plus, rôle qui sera attribué par la suite à l'une des employées de l'ambassade cora lijek-clea duvall), convainc un vrai maquilleur (john chambers, oscarisé pour la planète des singes–john goodman) et un vrai producteur (lester siegel-alan arkin) de jouer le jeu, et va jusqu'à créer une vraie affiche et un vrai storyboard.
les iraniens mordront à l'hameçon mais se rendront compte, un peu tard, qu'ils ont été dupés.
comme d'habitude dans ces films "d'époque", la reconstitution est fidèle par un stylisme sans faute (la famille du réalisateur détestait sa coupe de cheveux – que je trouve pourtant pas si mal, lol – au point que son propre père se demandait quel genre de job exige qu'on ressemble à ça). parfaitement maîtrisée, l'écriture amène progressivement la tension dramatique à son paroxysme. même si l'on se doute bien que cela n'a pas dû se passer exactement comme ça. par exemple, le temps de réaction (très court) de la police est, en soi, assez risible quand on sait à quelle vitesse l'administration fonctionne dans ces pays. mais peu importe, ça fonctionne très bien. en revanche, les moyens mis pour rechercher et démasquer les 6 employés fugitifs sont à la mesure de la détermination du nouveau gouvernement en place: énormes. au point qu'il iront jusqu'à recoller les milliers de pages passées à la déchiqueteuse juste avant la prise de l'ambassade. à noter qu'au milieu de ce chaos indescriptible ("indescriptible" est un mot pratique quand on veut éviter de chercher les mots pour décrire une situation compliquée) et qu'en dépit de la gravité d'une situation désespérée où chaque protagoniste risque la mort à chaque instant, le scénariste chris terrio a su saupoudrer son histoire d'une certaine légèreté, surtout dans la satire d'hollywood. extrait.
mendez: i need you to help me make a fake movie.
chambers: you want to come to hollywood, act like a big shot without actually doing anything?
mendez: yes…
chambers: you'll fit right in!
très malin, le procédé permet au spectateur de n'en aimer le film que davantage dès la fin de la projection car le rire, subtil en d'autres circonstances, devient beaucoup plus bruyant dans ce contexte.
si l'idée de mendez fut présentée à ses supérieurs comme la meilleure mauvaise idée d'exfiltration de l'époque, argo est le meilleur thriller politique du moment. courez…
brèves de coulisses…
tous les critiques s'accordent à le dire, ben affleck n'est pas un bon
comédien. sans aller jusque-là, il est vrai qu'il donne l'impression d'interpréter toujours le même
personnage, quel que soit le film. un peu comme kirsten
dunst, roger moore ou kristen stewart, ces acteurs "mono-expression". le
talent d'affleck serait-il donc décidément dans la mise en scène? il faut croire puisque, après gone, baby gone, 2007, drame policier glauque dans lequel il donne la vedette à son frère casey, et the town, 2010, thriller dans lequel il est derrière et devant la caméra, comme on dit, argo est donc son troisième long-métrage, loin du style et du propos qu'il avait adoptés dans les deux précédents, à être encensé par la critique et le public. le scénariste chris terrio, quant à lui, est très demandé depuis la sortie du film (on parle déjà d'oscar), à tel point que george clooney, qui est à l'origine du projet en ce qu'il a découvert un article traitant du sujet et qu'il a coproduit le film (avec grant hestoy) ne le lâcherait plus. pour des raisons bien compréhensibles, le film a été tourné à istanbul et il a été présenté en avant-première mondiale, le 8 septembre 2012, au festival du film de toronto (et a reçu une standing ovation à la fin de la projection), ce qui était symboliquement très fort pour le réalisateur puisque les canadiens ont été les complices des américains dans cette affaire. à ce propos, les iraniens ont menacé à l'époque les canadiens de représailles. coïncidence politique, le 8 septembre 2012, le canada a fermé son ambassade de téhéran, considérant que l'iran représente aujourd'hui la menace la plus sérieuse pour la sécurité mondiale. comme quoi, même si les faits se sont déroulés il y a un peu plus de trente ans, nous sommes confrontés, aujourd'hui encore, aux effets de la révolution. la société de production fictive montée par mendez – studio six – était une allusion discrète à l'opération d'exfiltration (des 6 otages) et le scénario original avait été choisi non pour ses qualités artistiques (tout le monde s'accordait à l'époque pour dire qu'il était très mauvais) mais parce qu'il offrait un excellent prétexte à des repérages dans un pays du moyen-orient.
bande-annonce…