réal. michel leclerc, scénario baya kasmi, michel leclerc, int. jacques gamblin, sara forestier, zinedine soualem, carole franck, jacques boudet, michèle moretti, lionel jospin. 2010, 104'. 3,5 pouces.
le synopsis
jeune femme extravertie, bahia benmahmoud (forestier) se fait une haute idée de l'engagement politique puisqu'elle n'hésite pas à coucher avec ses adversaires (de droite) pour les convertir à sa cause. un jour elle rencontre arthur martin (gamblin), quadra discret, et se dit…
… qu'il est forcément un peu facho. mais les noms sont fourbes et les apparences trompeuses…
l'avis
ce film est un bonheur. les deux scénaristes, compagnons à la ville, parviennent à traiter un thème grave, quotidien et qui touche chacun d'entre nous – les préjugés et le délit de sale gueule (ou de sale nom) – avec fraîcheur et détachement (en apparence). le ton est toujours léger (c'est une comédie) et le regard ne porte jamais de jugement. du coup, la critique n'en est que plus impactante. le film met donc le doigt sur l'erreur de jugement (et la bêtise des comportements) que l'on peut parfois commettre au nom d'une certitude s'appuyant elle-même souvent, mais pas toujours, sur un vécu. mais s'il n'était que cela, il serait sans doute un peu plat, voire ennuyeux. dieu (ou allah) merci, kasmi et leclerc réussissent l'alchimie de la tendresse face à la bêtise et de l'intelligence face à l'adversité, là où des auteurs moins subtils auraient sans doute mis les pieds dans le plat d'un militantisme revendicatif et lourdingue.
le film démarre par la biographie des deux personnages principaux, racontée par eux-mêmes en voix-in et off. bahia, que tout le monde prend pour une brésilienne, est née d'un père algérien, artiste contrarié et modeste immigré, et d'une mère française, baba et indignée contre tout. arthur, lui, vient d'une famille petite bourgeoise dont le père, qu'arthur peine à voir jeune, travaille dans le nucléaire et dont la mère, juive, a échappé de justesse aux foudres nazies. il y a dans ce parti pris comme un air lointain d'amélie poulain qui met tout de suite à l'aise. l'humour s'installe par la petite porte du second degré, tranquille mais percutant. autant la famille de bahia, bruyante, nombreuse, méridionale, a favorisé le développement sans complexe de la jeune fille, autant celle d'arthur, pétrie de tabous, entretenant un silence de plomb autour des origines familiales, a fait de lui un jeune homme discret et introverti. malgré leurs différences et leur potentielle incommunicabilité, les deux personnages n'attendaient que de se rencontrer.
même si cela ne va pas forcément aller de soi. car bahia, qu'on n'a jamais traitée de sale arabe parce que trop blanche de peau, est militante, déterminée à convertir tous les mecs de droite (son album photos est hilarant) selon une technique bien à elle: en couchant avec eux au premier rendez-vous ("juste avant l'orgasme, là où le mec est le plus ouvert, tu lui dis "tous les arabes ne sont pas des voleurs" ou "tous les juifs ne sont pas riches"). de son côté, arthur a (a toujours eu) un problème avec les femmes. alors celle-là…
le film doit beaucoup à la fraîcheur de sara forestier, qui n'était pas prévue pour le rôle, mais qui insuffle à son personnage une énergie incroyable (quand elle engueule le conducteur du métro), une candeur très attachante (quand elle se rend compte qu'elle est sortie à poil), une positive attitude permanente (victime d'abus sexuel dans son enfance, elle ne se pose jamais en victime) et une naïveté, parfois, attendrissante ("les mecs de droite sont tous des fachos, c'est pas possible autrement!"). entre parenthèses, le talent de forestier gagne vraiment à éclater au grand jour. et pourtant, elle est loin d'être une inconnue. césar du meilleur espoir féminin en 2005 pour son premier rôle au cinéma (l'esquive, abdellatif kechiche), elle n'a cessé de tourner depuis (14 films en 6 ans), même si son travail ne rencontre pas le même écho qu'une mélanie laurent par exemple. à mon humble avis, ça ne saurait tarder. parenthèses fermées. mention spéciale à jacques gamblin, qui n'en est pas à son coup d'essai et qui est aussi pour beaucoup dans la réussite du film avec un personnage réservé (dû plus à son éducation qu'à son tempérament) n'avait besoin que d'une femme comme bahia pour se libérer
se libérer d'abord par les mots. dire les choses, se parler pour savoir, comprendre l'autre, mais aussi pour ne pas rester dans l'ignorance, mère de tous les préjugés: voilà l'autre thème du film.
arthur se dit que cette fille est difficile à suivre, tant elle est libre, dans tous les sens du terme. pourtant tout la pousse vers elle, précisément du fait de cette incroyable liberté. mais le personnage de la jeune femme n'est pas sans failles. paradoxalement, sa "jeunesse" la fait, elle aussi, se fourvoyer dans ces préjugés mêmes qu'elle épingle chez les autres, même si son jugement est porté en conscience, en conviction et en toute bonne foi. comme la plupart des gens, d'ailleurs. mais ses convictions ne sont ni meilleures ni plus mauvaises que celles des autres.
le nom des gens est de ces comédies qui "font réfléchir". un remède réjouissant au cynisme ambiant, au désengagement (pas seulement politique) et à l'individualisme forcené de notre société. à voir comme un vent de fraîcheur en pleine poire.
brèves de coulisses…
l'histoire est en partie autobiographique pour ses auteurs, l'humour en plus. "c'est la raison pour laquelle je fais de la comédie, a expliqué michel leclerc, c'est la seule manière élégante de parler de son nombril en évitant de tomber dedans." le film a été tourné en hd, en super 16 et en super 8. un choix du réalisateur qui souhaitait donner au point de vue amoureux d'arthur sur bahia une texture plus chaleureuse et sensuelle.